perfect places (jules)

Élevé aux grands plaisirs de ce monde et cuillère dorée dans la bouche, Jules apprend que ce sont les autres qui doivent se plier à ses exigences et non pas l’inverse.

Être un McLaggen, cela implique venir de nulle part et vouloir aller toujours plus haut. Il n’existe pas d'objectifs assez beaux pour cette famille d'écossais nantis; parce qu'un jour, il y a de cela plusieurs décennies, on résumait leurs biens à des terres arides où les moutons noirs pullulaient et à une ferme giflée par le vent. On dira d'eux – si l’on prend le temps d’écouter les jérémiades du patriarche - que c'est à la seule force de leur travail que les richesses ont su s'accumuler dans les coffres. Et si ce n'est pas tout à fait faux, il faut néanmoins observer que depuis quelques générations déjà, les McLaggen trouvent que graisser des pattes est bien plus simple. Qui pourrais le leur reprocher ? Élèves assidus de familles sorcières depuis plus longtemps politisées et pliées aux règles marchandes des plus rusés de ce monde, ils apprennent des meilleurs les milles et unes techniques et fourberies permettant d’obtenir de tout un chacun le prix le plus avantageux, les privilèges les plus notoires et les contacts les plus puissants.
Ainsi, lorsque Tiberius McLaggen sort de son petit bout de campagne rénové durant toute sa vie afin de devenir un manoir digne d’une véritable lignée de sorciers, il est envoyé à Serpentard. Aux fausses armoiries et à la devise qui ne fait pas plus de sens, on admet volontiers aux grand-parents de Jules leur combativité : s’intégrer dans un milieu qui ne jure que par les gallions et la pureté du sang en proposant simplement les talents de négociateur de leur fils aîné, c’est osé. C’est osé mais il l’a fait; aujourd’hui conseiller économique du Ministre de la Magie après avoir brillamment grimpé les échelons de la banque des sorciers Gringotts, on dit de Tiberius que Serpentard lui a réussis et que l’argent de la vente des moutons a finis par payer.
Véritable fascination pour la plupart de ses collègues, il incarne le charisme que tout le monde voudrait avoir. Il a appris parmi les meilleurs, les langues de vipère, les cobras mal léchés, le McLaggen. Tout ça, en copiant et en maniant les mots et les chiffres comme peu d’autres avant lui. Certains diront que les bagues à ses doigts payent sa position au sein de l’État. Mais lui, lui, ces rumeurs vagues, le font bien rire. Ceux qui lui sont proches savent que ces joyaux sont sans valeur; qu’ils ne servent qu’à attirer les proies faciles.

De la vie personnelle de ce monstrueux banquier, on sait peu de choses. Et pour cause, les secrets que la famille cache sont si précieux qu’il met la plupart de ce fameux argent au service de la protection de ses données personnelles.

Il fait horriblement froid, la selle en cuir gelée sous les fesses de Jules en attestant amplement, ainsi que la buée sortant des naseaux du poney entre ses jambes. Le visage emmitouflé entre casque et épaisse écharpe de laine noire remontée jusqu’au nez, le garçon se demande en ronchonnant à quoi toute cette mascarade rime. Dix ans qu’il est obligé d’accompagner son père et Bertie à la chasse, comme si, par miracle cela se mettrait à lui plaire. Contrairement aux dires de Tiberius, cela n’avait pas grand-chose avoir avec l’éthique de sa mère qui ne supportait pas qu’on s’en prenne à des animaux innocents; non. C’était la perspective de perdre son temps à galoper derrière deux adultes, tous deux alcoolisés à l’hydromel, entrain d’échanger toujours les mêmes blagues dans l’hypocrisie la plus totale.
Son père était un coureur. Il le savait, il l’avait toujours su et il ne voyait même pas le problème à ça : sa mère faisait semblant de ne pas savoir, Tiberius faisait semblant d’être discret. De toute façon, aucun des deux n’avaient à se plaindre, estimait Jules, puisque le second couvrait la première de présents et d’amour inconditionnel (si ce n’est de pouvoir aller voir ailleurs quand l’envie lui prend) tandis qu’elle pouvait jouir à loisir de l’argent familial et des avantages liés au nom comme bon lui semblait. Un deal juste, qui, s’il n’était pas passé inaperçu aux yeux du petit, ne l’avait jamais réellement secoué. Après tout c’était à seize ans la seule chose qu’il connaissait de l’amour. Pas un grand fan des romans à l’eau de rose, il avait un talent certain pour engloutir tout ce qui avait attrait au sport en très peu de temps (jusqu’à chercher des passages précis et ne lire que ces parties des bouquins qu’on pouvait lui offrir).
Pourtant, s’il y avait bien un sport qui l’insupportait (et c’était plus culturel que l’équitation en elle-même) c’était la chasse. Il n’avait même pas le droit de tirer sur des animaux, parce qu’il était apparemment trop jeune; et la seule chose qui semblait importer à son père, c’était qu’il écoute les fameuses joutes verbales qu’il menait avec ses différents invités. Bien sûr, cela arrive qu’ils se disent des choses intéressantes. Des ragots du ministère, une anecdote sur qui se fait qui au bureau, parfois même des rumeurs internationales. Jules savait parfaitement que ces potins n’avaient pas grand-chose d’attrayant pour l’ancien serpentard, c’était simplement la perspective de savoir et de posséder un ascendant sur l’autre qui lui plaisait. La majorité des gens prenaient Tiberius pour un beauf qui se la raconte et à s’y méprendre, c’était exactement ce qu’il voulait qu’on pense de lui. Pour son fils qui avait depuis longtemps démasqué la supercherie, c’était à la fois irritant et hilarant.
La manière dont il prenait les gens pour des imbéciles, il l’admirait. Mais ses raisons – purement égoïstes voire dangereuses – lui étaient répugnantes. Il l’avait appris à ses dépends un glacial soir de Noël, quand il avait surpris son père entrain de négocier un droit de cuissage sur la femme d’un de ses collègues. En échange, il tairait le honteux secret qu’il avait à son sujet.
De longs frissons remontent la colonne vertébrale du bleu et argent; et cela n’a rien avoir avec le froid. En silence et lèvres pincées, il engage un trot enlevé derrière les deux hommes, traînant à sa suite le doute et la peur que ses propres mensonges viennent un jour aux oreilles de ce cruel géniteur.

La porte s’ouvre en grinçant; ne manquant pas de faire sursauter l’adolescent chevelu qui passait tout juste la tête dans l’interstice. Amusant, murmure-t-il dans un souffle. C’est un signe, n’est-ce-pas ? Faut que tu ailles de l’avant Jules. De toute façon, je vois pas ce que tu crains. Aller, bouge tes fesses McLaggen ! On a pas toute la soirée ! Papa s’arrangera. Tu resteras dans l’équipe de Quidditch. Ouais, ça va,  j’arrive, j’arrive…
Ses pas sont délicats, bien plus que ceux des autres; à croire qu’il n’y a que lui qui craigne comme la peste cet abruti de Rusard. Il était probable que chacun des mecs de sa bande aient un QI deux à trois fois plus élevé que celui du surveillant, mais… n’empêche que le pouvoir de les coller et d’enlever deux cent points à Serdaigle d’un claquement de doigts, c’était lui qui les avait. Et le pouvoir, Jules, il connaît bien. D’ailleurs si il voulait il pourrait se redresser et hurler des chansons traditionnelles écossaises (avec ou sans kilt, avec ou sans caleçon) en insultant les armures (mauvaise idée) que personne pourrait rien lui dire.
Alors quand Bevan lui avait proposé (lui et ses gnomes) de cambrioler la salle de bain des préfets… il avait eu vraiment très envie d’essayer. Déjà parce qu’ils avaient l’air cool les mecs qui l’accompagnait, puis parce qu’il adorait Bevan et que Bevan l’adorait et enfin, parce qu’un bon bain de minuit aux goûts d’insolence, ça n’avait pas de prix. On peut savoir comment t’as eu le mot de passe de la salle, Higgs ? Je connais une fille. Comme d’hab’, il se dit. C’est toujours la même réponse et ça lui va très bien à Jules. Au pire, il avait déjà listé une centaine d’excuses au cas où ils tombent sur un prof. Et puis d’abord ils n’étaient que quatre et ne se baladent que deux par deux. Tranquille McLaggen, vous êtes déjà au cinquième étage. Un jeu d’enfant.

Quelques longues minutes plus tard (à croire qu’on les a laissé faire) ils entrent avec émerveillement dans l’immense salle aux couleurs des quatre maisons. Trop bien roulée la sirène. Carrément. Clin d’œil entendu à la demoiselle, l’aiglon éclate de rire en ouvrant le robinet à bulles bleues. Ni une ni deux, ils finissent par inonder la salle de bain, à renfort de bataille d’eau et  de blagues vaseuses; néanmoins, c’est surtout les prémices d’une jolie amitié et Jules le sent au plus profond de lui-même. Il est vraiment génial ce gars.

La légende raconte que les quatre gars auraient fait la fête jusqu’à pas d’heure, flirté avec la sirène et rencontré des créatures merveilleuses sur les dalles luisantes du fond de la piscine.
La vérité c’est qu’à peine entrés dans la salle, Rusard les avaient rejoints clopin-clopant et – traînant deux des boulets par les oreilles – et sommés de retourner se coucher. En prime, une heure de colle par semaine jusqu’à la fin du trimestre, un hiboux à monsieur Flitwick et cinquante points en moins.

Il neige sombre abruti !  Je suis au courant.  marmonne l’adolescent dans son écharpe remontée jusque sous le nez, emmitouflé dans plusieurs couches de vêtements. Maman oblige, il avait récupéré dans sa valise milles et uns différents habits destinés à le protéger du froid mordant de l’hiver écossais – hiver qu’il tâtait tous les ans et qu’il passait aisément grâce au talent de sa mère pour prévoir chacun de ses besoins avec une précision surprenante même après tout ce temps. Ainsi, le matin même, quand de sa fenêtre aux vitraux colorés du dortoir des Serdaigles il avait constaté le ciel gris aux nuages lourds, Jules avait compris que c’était le moment de dégainer son arme ultime. Le sous-pull hors de prix. Équipé d’un marcel blanc, sous un t-shirt à l’effigie des Pies de Montrose, lui-même sous un pull à capuche sur lequel un grand aigle était dessiné, le môme de quinze se gelait les miches devant son miroir de salle de bain, tremblotant dans son pauvre caleçon et ses chaussettes en moumoutes, quand il s’était résolu à porter ce que Bevan appelait  son « tutu de foutue danseur étoile ».
Pourtant, le tissus moulait son torse déjà musclé pour un gamin et il adorait ce qu’il voyait dans la glace. Ça joue des muscles, ça se mate dans le reflet (ça évite consciencieusement de regarder le leggings fourni avec le sous-pull), ça sourit avec satisfaction. Pas pour rien que l’hiver est sa saison préférée de l’année, quoique ses débiles de potes puissent en dire.
Et puis merde, c’est mieux que de grelotter. Balais sur une épaule et uniforme proprement rangé dans un sac à cette intention sur l’autre, l’aiglon trace contre vents et marées, rien ne pouvant détourner son pas déterminé de sa direction : les vestiaires. Ton balais va geler sur place, tu vas tomber et tu vas mourir ! Regard en biais, sourcil arqué. Vraiment ? ET SI TU MEURS, TU JOUES PAS ET SI TU JOUES PAS DIMANCHE, ON VA PERDRE ! Au moins, les intentions du capitaine de l’équipe ont le mérite d’être claires : Jules est un élément essentiel pour la survie de l’équipe et leurs chances de gagner la coupe; voilà bien trop d’années que celle-ci ne s’est pas retrouvée sur les étagères du bureau de Flitwick, et l’ambiance générale s’en fait sentir. À Serdaigle, beaucoup sont compétitifs et l’idée de ne pas être premier une année de plus est assez amère pour bien vouloir se pousser à bout. Et il n’a aucune limite, ce fan incompris de Quidditch. Si tu crois que c’est ça qui va m’empêcher de faire mon entraînement supplémentaire… et puis, pire sont les conditions, mieux je jouerais dimanche. Logique pétée du mec qui veut juste faire son tour de balais tranquille, sentir ses pieds à la bonne place – sur ses étriers – et ses gants autour du Souaffle. La vitesse lui glacer les joues et les oreilles, vriller entre les poteaux immenses du stade à toute allure, se sentir juste au bon endroit, au bon moment. Il y avait peu de sentiments semblables à celui-la, qui lui fasse oublier tout ce qu’il devait faire – ce devoir de botanique, cette fille qui manquait de le rendre fou, ce préfet qui le harcelait pour qu’il augmente ses notes en potions -, qui il devait être – populaire, sympa, souriant, fier de porter ses couleurs – et tout ce qu’il rêverait de devenir – heureux. S’il te plaît, Jules, au nom de tous les saints Nimbus de la Terre, contente toi de cirer ton balais. Cet idiot rigole, parce que… Fait pas le débile, t’as très bien compris ce que je veux dire. Si tu te casses un truc ce soir, je m’occuperais moi-même de t’achever.
Le grand blond s’éloigne à reculons avec un regard sévère, emmitouflé dans sa doudoune immense, bras croisés. Parfois, tu me fais regretter de t’avoir sélectionné l’année dernière ! Pourquoi tu me vires pas alors ? Parce que je sais parfaitement que tu sois dans l’équipe ou pas, tu passeras tout ton temps à t’entraîner. Autant ne pas gaspiller ta précieuse sueur, McLaggen. Bien vu. Étant la remarque sarcastique sur laquelle le septième année décide que ça en est finis de lui essayant de raisonner cette tête d’âne, ce dernier se retourne. Son intention principale se trouvant, comme le morveux déjà entrain de s’harnacher dans les vestiaires le sait parfaitement, de l’espionner depuis la salle commune de Serdaigle (après avoir informé Flitwick de son imprudence). L’idée ? Venir le voir, le jour du match et lui lancer un « Eh, tu te souviens ce truc que t’as fais avec le Souaffle là mardi ? Quand tu le lances en avant et le rattrape quatre mètres plus bas à ras les pâquerettes ? Ouais ? Tente moi ça sur Flint aujourd’hui ; et presto je te prie. » Le truc assez ouf, c'était que c'était ces petites parades made in Jules qui leur sauvait la mise, son acharnement immodéré lors des exercices collectifs et celui complètement irrationnel des sessions en solo.

Son torse qui glisse doucement sous les draps blancs, un morceau du mollet musclé qui dépasse, les cheveux un brin trop longs qui cachent son visage angevin. Quelque chose dans l’atmosphère qui lui donnerait envie de l’embrasser, de lui prendre la main. De la serrer contre ses lèvres, la garder contre lui indéfiniment. Il s’en veut un peu, pour l’épaule. Elle est entourée d’un bandage blanc légèrement rougis que Mme Pomfresh ne tardera pas à venir changer; après lui avoir lancé un regard pour vérifier qu’il reprenne bien des forces, qu’il dorme profondément. À seize ans, on est encore fragile vous savez., avez-t-elle assuré à un Flitwick à la fois enragé – il avait été obligé de nettoyer le fatras causé par ces deux abrutis – et soulagé qu’ils aillent bien (choc mis à part). Quelle idée aussi, d’étaler du savon dans un couloir rempli d’armures ? Higgs n’était clairement pas un génie (ce n’était pas nouveau) mais de là à se faire prendre à sa propre blague au point de causer un accident lui valant une épée rouillée dans le bras et un choc violent à son meilleur ami ? Le professeur de sortilèges regrettait que son élève de sixième année soit si proche du poufsouffle. Dans ses rêves les plus fous, McLaggen décrocherait une équipe de haut-niveau (il en avait les capacités) et son poste de capitaine l’y aiderait fortement. D’où le titre, décerné l’année précédente. Néanmoins, il craignait que sa capacité exceptionnelle à se faire de mauvaises fréquentations ne l’entraîne vers le bas. Et, alors, qui pourrait l'extirper de cette spirale infernale ?