Elle m’avait raconté qu’il était tellement heureux de ma naissance qu’il l’avait dit à bien trop de monde. Des amis au facteur, de la bibliothécaire au patron, d’un passant croisé sur un passage clouté à un autre sur le trottoir, il l’avait dit à tout le monde. Elle riait de cette joie paternel, se moquant allègrement de lui, le ridiculisant même parfois, parce que leur amour était fait de taquinerie et d’éclat de rire. Elle m’avait dit que ce qui lui manquait le plus, c’était son sourire quand il la regardait. Elle me dit, elle me dit, et moi j’aimerai imaginer un air qui me rappellerait ses yeux, ceux là qui m’avaient enveloppé d’un amour protecteur. Une jolie balade qui m’évoquerais ces moments où il m’avait expliqué que j’étais le petit homme de la maison, le grand petit frère de Judith. Une histoire pleine des mélodies de sa voix qui me sermonnait quand je m’écorchai les genoux sur le parquet de la maison. Elle me dit, elle me dit, et moi je continue de penser au conditionnel.
Mode d’emploi d’un né-moldu pour sorciers
Toc. Toc. Toc. Le geste était sûr, fort, assuré. Sa résonnait dans toute la petite maison, l’heure était matinale, le héro du jour n’était même pas encore réveillé. Mary était déjà aux fourneaux pour préparer un gâteau qu’elle espérait appétissant, juste le temps de mettre un torchon sur la pâte, d’essuyer maladroitement la farine sur son tablier, avant d’aller ouvrir. Elle ne connaissait pas l’homme qui lui faisait face et, d’un naturel méfiant, elle ne laissa qu’un entrebâillement pour lui parler. “Bonjour Madame Fraser, je viens souhaiter un bon anniversaire à votre fils et, surtout, vous faire part d’une nouvelle des plus déstabilisante. Nous serions mieux à l’intérieur pour discuter.” Oh non… depuis le décès de son époux, elle fuyait les mauvaises nouvelles et celle-ci semblait en être une à vous tirer des frissons. Il le remarqua, eut un geste de compassion et son visage sec se fit plus doux. “S’il vous plait, c’est important”. Toujours méfiante, elle le laissa néanmoins entrer pour aller réveiller son aînée de quinze ans et son fils sans leur donner plus de détail. La petite famille était là, réunie dans la cuisine imprégnée de bonnes odeurs, Mary tenait Robin contre elle pour le protéger de l’oiseau de mauvaise augure. De sa voix douce, en prenant toutes les pincettes qu’il pouvait avoir, l’homme leur expliqua que Robin était un sorcier. Il leur parla de ce monde qu’ils n’imaginaient pas, de cette école qui l’attendait… un long monologue que personne n’interrompit. A mesure que les mots sortaient, Mary enveloppait de plus en plus son fils pour le protéger de cet être qu’elle refusait de croire. Robin, lui, ne savait qu’en penser. Si sa mère n’avait pas été aussi craintive, aussi méfiante, il aurait cru qu’elle lui avait préparé une sacrée surprise pour son anniversaire ! C’était peut-être une idée de Judy ? Il lui jeta un coup d’oeil, elle avait imaginé cette espèce de chasse au trésor complètement folle ! Peut-être l’homme allait-il lui parler d’une quête ? Que son cadeau était à la clef ? Des énigmes à résoudre ? Oh qu’il espérait avoir une énigme ! Et une épreuve de force aussi ! Judith était bouche bée, les yeux pétillants, et Robin fronça les sourcils, elle semblait encore plus surprise que lui.
- Vous êtes vraiment un sorcier ?
- Judith ! Ne crois pas ces bêtises.
- Oui, en effet.
- Et Rob aussi ?
- Hé bien, oui.
- C’est fou ! Complètement fou ! Je vais faire du thé ! Quelqu’un veut un thé ! Elle ne trouvait rien de plus festif qu’un bon thé maison pour accompagner les grandes nouvelles.
- Prouvez le.
Robin s’était défait des bras de sa mère pour se mettre à côté de l’homme. Debout, bras croisé, le petit homme défiait le sorcier, ou peut importe ce qu’il était. Sa soeur était une rêveuse mais lui, il avait quelque doute quant à cette soudaine réalité. Il n’était même pas certain de ne pas préférer une chasse au trésor plutôt que quitter le nid douillet de la maison. L’homme sourit et se mit à lui raconter une histoire. C'était décevant, il aurait préféré un feu d'artifice dans sa main ou une créature étrange sortit de sa poche.
- Laisse moi te raconter quelque chose que tu connais Robin. Tu ne te rappellerai pas d'un événement te concernant qui serait sortit de la norme ? Un moment où il s'est passé quelque chose de bizarre ?
- Pas du tout, répondit-il buté.
- Allons fait un effort, je suis sûr que tu vois de quoi je parle...
Il y eu un silence avant que Robin détourne le regard mais continue à faire serrer sa mâchoire dans ce qu'il imaginait être son air le plus impressionnant. Il ne voulait pas en parler, il savait qu'il allait passer un mauvais quart d'heure, un très mauvais quart d'heure.
- J'ai voulu aller voir le cabanon des Ferwick, commença t-il doucement avant que son débit ne s'accélère, Hugo arrêtait pas de me dire qu'il y avait caché ses comics et je voulais les voir ! Et, enfin, en voulait ouvrir la porte j'ai vu quelle était fermée. Ca m'a agacé car j'avais pas fait tout ça pour rien, escalader le muret c'était pas de la tarte ! Alors j'ai voulu passer par la fenêtre, elle était ouverte ! Donc j'ai grimpé au mur mais quand j'ai voulu passer par la fenêtre j'ai raté ma prise et je suis tombé.
- Et tu ne t'ais pas fait mal n'est-ce pas ?
- Non ! J'ai eu très peur mais je me suis arrêté une seconde avant l'herbe ! Mais j'ai rêvé.
- Tu n'as pas rêvé.
Il était tout penaud, s'attendant à ce que sa mère le punisse jusqu'à, au moins, sa majorité mais elle ne réagit pas. Regardant tour à tour son fils et l'homme, cet homme qui souriait comme si Robin le rendait particulièrement fier. Une conversation s'ensuivit, ce fut long, très long, le temps que Mary comprenne ce qui se passait, qu’elle accepte aussi et, surtout, le temps que Robin cède à la curiosité d'aller à Poudlard. Le rendez-vous fut pris, ils se retrouveront pour les fournitures.
*
“Alors c’était comment ?! Raconte moi tout !” Il n’avait pas mis un pied dans la maison que sa soeur l’attrapait par le bras pour le tirer sur le canapé. “Je veux tout savoir ! Ils sont tous aussi mignon que ce sorcier ? Ils mangent des trucs bizarres ? Est-ce que tu vas apprendre à transformer tes ennemis en crapaud ?” Robin éclata de rire et se passa la main sur sa nuque, faisant durer quelque peu le suspense.
- Il faut d’abord que je fasse mes preuves. Ils ne laissent pas n’importe qui entrer dans leur école !
- Ah oui ? Tu vas devoir faire quoi ?
- Réunir une équipe de valeureux sorcier, les meilleurs, pour qu’ils m’aident pas dans ma mission, très périlleuse.
- Pas facile tu ne connais personne… et c’est quoi, cette mission ?
- Trouver une coupe magique qui sauvera Londres ! La mission vient d’une femme mystérieuse vivant dans la forêt.
- Ouah une coupe… mais attend… c’est la quête du Graal ton truc ! Rob !
Il rit en s’enfuyant du salon alors qu’elle le visait avec les coussins du canapé. Dans quelques temps il irait à Poudlard et, malgré qu’il ait finalement raconté comment il en avait pris plein les yeux au Chemin de traverse, une boule d’angoisse s’était formée dans son ventre. Cette aventure était attirante, bien plus intense, épique, que toutes celles qu’il avait jusqu’alors imaginé avec ses copains mais, mine de rien, elle était aussi particulièrement effrayante. Comment appréhender ce nouvel univers ? Comment le comprendre ? Et s’il était perdu, seul ? Il n’avait jamais quitté sa famille, sa maison il ne l’avait même pas laissée pour une petite escapade estivale. Le jour du départ, ce fut Judith qui l’accompagna au train, leur mère tolérant ce qui arrivait à son fils mais refusant d’y prendre part. Robin se disait qu’il lui fallait juste un petit peu de temps pour s’y faire, que pour les vacances de noël elle serait heureuse d’écouter ses histoires magiques. Il se trompait, mais, en attendant de le découvrir, c’est tout fébrile et mort de peur qu’il quitta Judith pour aller sur le quai ¾.
*
Un château qui lui évoquait plus celui de la méchante sorcière que celui du roi. Une balade en barque alors qu’il ne savait pas nager. Une robe qui gratte la nuque alors qu’il a un nouveau pull trop classe dans sa valise. Un discours dont il ne comprit pas la moitié des références. Un chapeau tordu sur sa tête pour désigner sa classe, enfin, sa maison comme on disait ici. Muet, Robin n’avait pas dit un mot depuis qu’il avait quitté sa soeur. Il y avait eu des tentatives d’approches dans le train mais il n’y avait pas répondu et, honnêtement, si on lui avait laissé l’opportunité de passer la soirée assis dans son coin, il l’aurait saisi. Un fantôme passa, il frissonna et l’observa, intrigué, si je le touche est-ce que c’est tout froid ? Perdu dans sa contemplation du Moine Gras, il sursauta quand ce fut son tour de passer sur l'échafaud. Il avait retenu au moins quelque chose, les verts ont de l’ambition, les rouges sont braves, les bleus ce sont les intellos et les jaunes, ils sont sympas. Ca lui va bien, les gens sympas. Le chapeau fut posé sur sa petite tête, heureusement qu’il avait l’habitude car comme beaucoup Robin sursauta en entendant la voix.
Une détermination sans faille. Un courage, non une témérité ardente. Je sens beaucoup d’idées, de possibilités en toi. A Gryffondor tu t’épanouiras ! N’importe quoi, il n'avait même pas eu le courage de faire de l’accro-branche la semaine dernière ! Septique, Robin rejoignit sa table sous des exclamations si enthousiastes qu’il se demanda s’il n’avait pas loupé un truc. Le hasard, ou plutôt le Destin, le fit s’asseoir à côté d’un première année, lui même à côté d’un nouveau, en face une fille pas bien vieille non plus. Trois nouveaux qui, alors qu’il les regardait comme s’ils allaient le mordre, allaient devenir sa nouvelle famille.
*
Il traînait avec Josephine, Myron... parce qu’ils étaient le lui avant Poudlard, quand il n’avait peur de rien, une imagination immense et que Judith le récupérait en train de fouiner dans les jardins avoisinants. Les bêtises, les aventures improvisées, défier les serpentards juste pour le plaisir… Robin était un petit mouton, plus un lionceau qu’un lion, effrayé par cette magie, par les possibilités qui s’ouvraient à lui et dont il n’arrivait pas à assimiler la portée. Ca allait trop vite, c’était trop intense. Et puis, il ne comprenait pas tout. Non. Il ne comprenait pas que certains s’écartent de lui quand il racontait les anecdotes sur sa soeur. Qu’on l’insulte de sang de bourbe lui tirait un sourcil relevé qui allait finir par devenir sa mimique caractéristique. Décidément il ne comprenait pas le soucis de ses origines mais il avait tellement à penser qu’il évitait le sujet et, fort heureusement, il était bien protégé au milieu de son joyeux quatuor.
Jusqu’au jour où quelqu’un parla d’une attaque dans un pub du quartier des affaires. L’incendie de ce lieu prisé des trentenaires actifs londoniens avait fait du bruit en raison du nombre de victimes. Sa mère aimait à répéter qu’elle avait appris la nouvelle à la radio en faisant quelque chose d’aussi triviale que la vaisselle. Ils parlaient du fait-divers comme d’une horreur de la guerre, cette guerre dont il entendait parler mais sans vraiment s’y pencher, sans oser poser de questions indiscrètes. Jusqu’à ce jour. Au fond, quand il y avait eu le discours de rentrée sur l’espoir, sur des jours meilleurs il s’était déjà posé des questions. Quand des bruits de couloirs avaient évoqué des combats et des moldus à gérer, il avait eu des soupçons.. mais comment lui reprocher d’avoir refusé d’ouvrir les yeux ? D’avoir manqué de courage. Quand il comprit que l’enfance qu’il avait connu s’était épanouie à la lueur des flammes de la guerre, que son père n’était pas du tout mort dans un incendie, que ce n’était pas un pyromane encore en liberté mais une foutue guerre qui ne le concernait pas… et qu’il était comme eux. Comme ceux qui avait tué celui qu’il imaginait faute de se souvenir, celui qui avait emporté la joie de vivre de sa mère avec lui dans sa tombe, comme ceux qui à l’heure actuelle lui donnait un dégoût profond de sa nature de sorcier.
*
Son apprentissage de la magie passa par une colère entretenue, intense et profonde, alimentée en permanence par ce rappel constant de ses origines. Auprès de ses proches il se raccrocha, sortit la tête de l’eau, rangeant sa rage dans un coin de son coeur. Les années ne le rendirent pas plus sage, ni plus calme, mais on lui apprit à se canaliser. Doué au Quidditch, Madame Bibine vit en lui un batteur né et, Merlin, il y mettait toute sa colère. Sur le terrain il se défoulait, dans les couloirs, dans la forêt interdite, il évacuait ce trop plein. Ses lettres à sa soeur se firent moins excessives, il parlait de moins en moins du passé et de plus en plus du présent. Aux vieilles histoires de guerre, il se mit à lui raconter ce pari qu'il avait fait avec un copain. Sa lubie de fabriquer des gants qui se transformeraient en mitaines selon son humeur.... Il n'oubliait pas son passé mais apprenait à voir les choses autrement, à profiter de ce qu'il avait. Judith, de son côté, adorait ces histoires qui la faisaient rêver et, avec son intérêt, aida sans le savoir son frère a accepter sa magie. En troisième année, Robin dû choisir ses options, ce qui n'était pas gagné...
- Va falloir que je m'inscrive à un truc. Je vais prendre étude des moldus comme ça c'est dans la poche ! ricanait-il alors qu'ils étaient affalés dans le salon.
- N'importe quoi gros boulet ! Prend un truc sympa, comme arithmancie !
- Arithmancie ?! Mais c'est la matière la MOINS intéressante du monde ! Tu prévoies le futur en faisant des maths, comment tu peux trouver ça drôle ?
- Moi j'aime bien les chiffres... et prévoir le futur c'est trop bien attend !
Il la regarda amusé, alors qu'elle énumérait tout ce qu'elle ferait si elle pouvait prévoir l'avenir, quand il eut une idée. Une idée toute simple qui ne nécessitait qu'un truc : sa chouette.
- Et si je t'envoyais les cours ?
- Hein ?
- Si je t'envoyais les cours d'arithmancie, t'en dis quoi ?
- J'en dis que tu es complètement fou, je marche !!!
Et ils le firent. Robin était l'élève le plus appliqué, il prenait bien ses notes, envoyaient le tout à son aînée qui lui renvoyait des questions bien trop perspicaces pour que ça vienne de lui. Parfois, entre deux cours, Judith l'interrogeait sur le côté coeur mais ça, ça ne semblait pas encore au programme. Les histoires d'amour ça foutait toujours le bordel et, lui, il aimait beaucoup le petit cocon très confortable qu'il s'était créé.
Petit à petit, le lionceau avait grandit et, quittant ses peurs et ses habits d’enfant, devint un adolescent aux idées affirmées, avec une grande lucidité sur qui il était. Un moldu avec une capacité magique. Une identité binaire qu’il rêvait de réunir en une seule, parce qu’il se sentait quelque part encore coupable de la mort de son père, parce qu’il trouvait injuste que son monde ne soit pas préparé à la magie, que sa soeur qui le soutenait n’ait pas le droit ne serait-ce qu’à un minuscule objet magique, aussi il se voyait comme celui qui réunira les deux univers. Il n’avait pas le niveau pour entrer au ministère, surdoué en histoire on ricanait en lui disant qu’il sera assistant fantôme de Binns. Il s’en foutait, par la porte ou par la fenêtre il donnera accès à la magie aux moldus ! Et si ça ne se fait pas en changeant les lois et bah il se lancera dans le trafic d’objets magiques en tout genre !